La musique, un monde de controverse…

Qui n’a pas au moins tapé les pieds aux sons d’un rabòday (ancestral ou récent), d’un trap, hip hop, konpa ou tout simplement aux cliquetis d’une bouteille et roulements d’un tambour ? D’ailleurs ne sommes-nous pas tous haïtiens ? Au-delà des considérations que nos clivages sociaux et religieux attribuant tel ou tel genre musical à telle classe ou tel groupe de gens, la musique finit toujours par se frayer un chemin avant même qu’on le remarque. Le temps de l’esquiver, il est déjà trop tard et nous voilà indéfiniment pris dans ses filets…

 

Pour preuve, il était difficile voire impossible, dix ans de cela, d’associer le konpa à la musique sacrée. Le Hip-hop, n’en parlons pas ! Aujourd’hui, ces genres musicaux font non seulement autorité mais s’instaurent pratiquement en emblème de tout un peuple, de tout un monde. Le Hip-hop est actuellement le genre musical le plus écouté et tout message véhiculé par son canal aura beaucoup plus de chances d’atteindre le maximum de gens. Le Konpa, lui, pour tout haïtien à quelques exceptions, est un plus qu’un genre musical ; il s’est pratiquement édifié en reflexe premier de la majorité de nos musiciens.

 

Le genre musical étant, en partie, épargné ; nous nous dirigerons dorénavant vers les contenus. Certains plaideront pour la censure complète et les moins radicaux pour des heures de diffusion pour au moins épargner les oreilles chastes des plus petits. Entre revendications des plus moraux, soutien farouche des jeunes en quête de plaisir et le mutisme intermittent de l’Etat, ces contenus controversés gagnent en importance et font le bonheur de leurs auteurs. D’ailleurs, qui use controverse, détient la clef du succès. Qui n’avait pas souri, fredonné et dansé à cœur joie les musiques du Coupé Cloué ? Pourtant les paroles de ses musiques avaient, pour leur époque, reculé de plusieurs pans le politiquement correct ! On entendra donc dire que le fort de Coupé Cloué, en plus de son talent, était de savoir voiler ses propos. Ne serait-il pas aussi juste d’arguer que le fort de certains artistes d’aujourd’hui serait leur courage de tout dire crument ?

 

Loin de penser que les musiques d’aujourd’hui aux propos controversés finiront par se transformer en classiques de demain – le temps seul pourra nous éclairer sur ce point-, il convient de se demander si nous n’envisagions pas la dépravation comme une sorte de libération. Nous voulons nous y jeter mais pas trop, question d’avoir la main le moment venu. Il suffit de regarder certains feintant les insensibles dans les transports en commun, lors de la diffusion à fond des chansons aux propos controversés, se tenant raide comme un mort dont les doigts ou les pieds finiront par tromper la vigilance. Ou encore, ceux qui s’étonneront à fredonner à tue-tête des propos qu’ils auront certainement combattu avec véhémence s’ils étaient sortis de la bouche d’un autre…

 

Ces genres de débats dureront aussi longtemps que vivront les humains et leurs normes. Au fur et à mesure que les mœurs reculeront, il y aura toujours de nouveaux agissements, des nouveaux mots à étonner les gens. Verrons- nous, un jour, le rabòday dans nos églises et retrouver les fideles à louer les fesses en l’air et les mains par terre ? Nous n’en sommes pas encore là ! Cependant entre l’acceptable et la controverse, la musique se faufile timidement nous apaisant, nous invitant à la fête, la dépravation et la liberté….ouvrant à nous le monde de la controverse, l’humanité.

 

Alain Délisca